Ecologie

Terres Rares pour les écolos ignorants

Terres rares : quels enjeux pour la France et l’Europe ?

Téléphones portables, disques durs, écrans, vélos ou voitures électriques, turbines d’éoliennes, robots : ni les nouvelles technologies, ni la transition verte ne sont pensables sans les terres rares. Mais elles sont difficiles à extraire et la Chine joue d’une position dominante. Quelles sont les politiques à développer compte tenu de ces enjeux ?

SOMMAIRE

  1. Les terres rares : carte d’identité
  2. Terres rares, les enjeux du futur
  3. Peut-on implanter une filière de recyclage en Europe ?
  4. Quelles possibilités de substitution aux terres rares ?

Les terres rares sont présentes un peu partout dans la croûte terrestre. Leur rareté désigne leur très faible concentration, qui nécessite l’extraction de grands volumes de matière. Globalement l’extraction, la purification, le traitement et la séparation des terres rares sont coûteux en énergie, en eau et en produits chimiques polluants.

Les terres rares sont utilisées dans de nombreux objets électroniques et numériques. Les besoins en technologies bas-carbone, notamment pour les moteurs de véhicules électriques et hybrides ou les éoliennes en mer, pourraient selon l’Agence internationale de l’énergie, multiplier la consommation de terres rares par sept d’ici 2040.

Sortir de la dépendance par rapport au quasi-monopole de la Chine, faciliter l’émergence d’une filière du recyclage, et accélérer les possibilités de substitution. L’Europe ne manque pas d’enjeux sur les terres rares. 

Les terres rares : carte d’identité

À quoi servent les terres rares ?

Les terres rares sont constituées de 17 éléments : 15 lanthanides : Lanthane ; Cérium ; Praséodyme ; Néodyme ; Prométhium ; Samarium ; Europium ; Gadolinium ; Terbium ; Dysprosium ; Holmium ; Erbium ; Thulium ; Ytterbium et Lutécium, ainsi que Scandium et Yttrium. Les terres rares légères sont utilisées pour leurs propriétés magnétiques exceptionnelles, et les terres rares lourdes (celles qui ont le plus de valeur) servent à repousser le point de température où les aimants perdent leur magnétisme.

Elles sont omniprésentes, surtout dans quatre secteurs industriels qui représentent 10% de l’économie mondiale (Institut polytechnique UniLaSalle, Comment concilier l’exploitation des terres rares et l’environnement ?, 3 avril 2023) :

  • numérique (téléphones portables, disques durs, écrans) ;
  • énergie (turbines d’éoliennes en mer, moteurs de voitures électriques et hybrides) ;
  • médical (appareils, robots) ;
  • armement.

Leurs usages sont diversifiés (données pour 2021):

  • le premier (31%) étant les aimants permanents (utilisés dans les générateurs, les volants magnétiques, les alternateurs, les moteurs de jouets, d’horlogerie) ;
  • les catalyseurs (18%) (utilisés dans les pots catalytiques des voitures) ;
  • les alliages métallurgiques (18%) (utilisés dans la construction aéronautique, militaire, médicale, etc.) ;
  • le polissage (13%) (utilisé sur la surface de nombreux produits industriels) ;
  • les verres et céramiques (11%) ;
  • le reste représentant 9%.

Les aimants permanents connaissent une croissance débridée. L’éolien et la mobilité bas carbone en consomment 35% du marché mondial, dont la Chine assure 91% de la production. Leur forte croissance (la consommation sera multipliée par trois d’ici 2030 pour l’éolien, et par dix pour les véhicules électriques) pourrait se heurter à une offre limitée des terres rares.

Pourquoi les appelle-t-on terres “rares” ?

Au XVIIIe siècle, au moment de leur identification par Lavoisier, les terres rares étaient moins abondantes que d’autres terres connues à l’époque (chaux, alumine, silice, etc.). La première terre rare, l’Ytterbium, fut découverte par hasard en 1787 par Arrhenius dans une carrière près de Stockholm. Aujourd’hui, ce sont les difficultés à les extraire et à les raffiner qui les rendent rares :

  • pour extraire 1 kilo de gallium, il faut casser 50 tonnes de roches, pour 1 kilo de Lutecium, il s’agit de 1 200 tonnes de roches ;
  • leur raffinage passe par l’utilisation d’acides sulfuriques et nitriques, qui contaminent les eaux et les sols avoisinants, générant chez les humains cancers, malformations et infertilité ;
  • leur contenu en thorium ou en uranium radioactif constitue une autre source de pollution, qui a justifié l’arrêt des activités de la raffinerie de terres rares à La Rochelle (Rhône-Poulenc), délocalisées en Chine. Dans les années 1980 l’usine purifiait 50% du marché mondial de terres rares.

Quels sont les pays producteurs ?

Selon l’Institut des études géologiques des États-Unis (USGS), la production mondiale de terres rares, 280 000 tonnes, se répartit entre :

  • Chine 168 000 tonnes, soit 60% du marché mondial ;
  • États-Unis 42 000 tonnes, soit 15% ;
  • Birmanie 25 000 tonnes, soit 9% ;
  • Australie 22 000 tonnes, soit 8% ;
  • Thaïlande 8 000 tonnes, soit 3%.

De petits producteurs complètent le panorama : Brésil, Burundi, Inde, Madagascar et Russie.

Les prix des terres rares varient en fonction de l’usage et de la rareté de chaque élément. En 2021, le Lanthane ou le Cerium étaient vendus, au kilo, un peu plus de cinq dollars le kilo, alors que le Terbium dépassait 1 709 dollars.

Jusqu’aux années 1980, les États-Unis dominaient le marché des terres rares. Une main-d’œuvre moins chère, des gisements plus importants et des lois environnementales souples ont permis à la Chine de faire baisser les prix de vente et, depuis 1995, de devenir le premier producteur mondial. La Chine est en effet le seul pays à accepter des coûts environnementaux très élevés, dus à des techniques productives médiocres mais peu chères.

La Chine joue de cette position dominante. En 2000, pour privilégier ses industries, elle a réduit de 40% ses exportations, ce qui a provoqué une envolée des prix. En 2010, elle a institué des taxes et des quotas sur ces exportations, ce qui l’a fait condamner par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à deux reprises. En 2011, elle a suspendu ses exportations dans le contexte d’un conflit avec le Japon. En parallèle, la Chine investit dans l’extraction de terres rares un peu partout dans le monde, pour accroître sa souveraineté et pour conserver le moins de pollution possible à l’intérieur de ses frontières.  

Tout cela a poussé l’Occident à la recherche de nouvelles sources, et, à partir de la fin des années 2010, des projets de mines et d’usines de raffinage se sont multipliés en Australie et au Canada. En 2013, les États-Unis ont réactivé la mine à ciel ouvert de Mountain Pass en Californie, fermée en 1998 après le déversement accidentel de milliers de litres d’eau radioactive.

En Europe, plusieurs sites prometteurs ont été identifiés en Scandinavie et au Groenland. En janvier 2023, le groupe Suédois LKAB a annoncé la découverte d’un gisement de plus d’un million de tonnes, soit 1% des réserves mondiales identifiées. Le gisement se trouve à Kiruna, en Laponie suédoise, un territoire utilisé pour l’élevage des cerfs par le peuple des Sami. LKAB aura beaucoup à faire pour obtenir l’acceptabilité sociale nécessaire au bon déroulement des opérations, car un gisement comparable, celui de Nora Kärr, également en Suède, est resté gelé pour des raisons environnementales de 2017 à 2020, et, si les études ont repris, la question de l’exploitation est toujours en suspens. L’éventuelle exploitation n’interviendra pas avant dix ou quinze ans, délai minimum pour ouvrir une mine et la mettre en service.

Terres rares, les enjeux du futur

Où se trouvent les réserves de terres rares ?

En 2021, l’USGS estime à 120 millions de tonnes les réserves mondiales de terres rares, dont 90% se trouvent :

  • en Chine : 44 millions de tonnes, soit 37% ;
  • au Vietnam : 21,6 millions de tonnes, soit 18% ;
  • au Brésil : 20,4 millions de tonnes, soit 17% ;
  • en Russie : 20,4 millions de tonnes, soit 17%.

Au rythme de production actuel (280 000 tonnes) et au vu de ces réserves, le monde dispose d’au moins 430 ans de consommation de terres rares devant lui.  

Ces données évoluent au fur et à mesure de l’exploration. L’Arctique aurait le second potentiel du monde de terres rares après la Chine, mais ses réserves ne sont pas encore prouvées. On parlerait alors de mille ans d’exploitation assurée.   

Quel est le potentiel de la France ?

En France, les principaux sites géologiques susceptibles d’être exploités pour des terres rares sont situés en Bretagne, en Guyane et en Polynésie.

En Bretagne, des gisements existent en Ille-et-Vilaine, dans les Côtes-d’Armor et dans le Finistère. Ils sont trop modestes pour justifier l’ouverture d’une filière d’extraction, mais, en cas d’envolée des cours, le site d’Ille-et-Vilaine permettrait une production marginale.  

En Guyane, des permis de recherche ou d’exploitation sont accordés pour des “bouquets” de minerais qui comprennent des terres rares, mais aucun grand gisement n’a été identifié.

Les fonds océaniques du côté de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie, pourraient recéler des ressources en terres rares. Mais, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) n’y fait pas de recherche pour le moment, car les métaux des roches océaniques sont en général pauvres en terres rares comparées aux roches terrestres. La teneur en terres rares la plus élevée observée lors de découvertes japonaises récentes à plus de 5 000 mètres de profondeur n’est que de 0,3%, à comparer à celle des gisements les plus importants, 5%, ou celle des gisements moyens, autour de 1%.

Par ailleurs, l’exploitation minière de l’océan détériorerait les fonds marins et mettrait en péril des espèces et des populations humaines qui dépendent de leur bon état. En effet, des panaches de particules sédimentaires se déposent sur la faune alentour, tandis que le passage des machines sur les grands fonds détruit les habitats de la faune abyssale. Dans les conditions actuelles, la France ne dispose donc pas actuellement de potentiel minier de terres rares.

Peut-on implanter une filière de recyclage en Europe ?

Une première expérience sans suite

En 2012, le groupe Solvay lançait l’industrialisation d’un procédé innovant de recyclage des terres rares contenues dans les ampoules basse consommation. À l’époque, la hausse des prix qui avait suivi la contraction des exportations chinoises faisait craindre des difficultés d’approvisionnement. Un partenariat avec l’éco-organisme Recylum, spécialisé dans les lampes, assurait la collecte des lampes.  

En 2016, le prix des terres rares retrouva son niveau d’avant crise, et le procédé perdit sa compétitivité. La substitution des lampes à fluorescence par des LED contraignit à mettre un terme à l’activité.

De nouvelles perspectives

L’Union européenne a récemment pris conscience de l’enjeu que représente le recyclage pour développer une industrie de production d‘aimants permanents. Le European Critical Raw Materials Act,  publié  le 16 mars 2023, fixe l’objectif d’augmenter de 15% les capacités de recyclage des matériaux critiques, dont les terres rares.

Aujourd’hui, seulement 1% des terres rares sont recyclées, car leur présence en petites quantités fait qu’il est difficile de les séparer des autres métaux. Cependant, la France bénéficie d’atouts : quatre entreprises françaises ont développé des technologies innovantes qui permettent de mieux séparer les terres rares, tout en allégeant les coûts d’eau et d’énergie, et en minimisant les impacts environnementaux.

Comme il n’y aurait pas de sens à recycler les matériaux pour les renvoyer dans les usines chinoises, les entreprises françaises seront à la fois opérateurs de recyclage et productrices de terres rares, chacune dans une filière différente : automobiles pour Carester, éoliennes pour MagREEsources, aimants à haute performance pour Orano, domotique et petits moteurs électriques pour REEfine.  

Enfin, le recyclage ne remplacera jamais totalement l’extraction et le traitement des terres rares. En effet :

  • une bonne partie des produits concernés ont une durée de vie longue : environ 30 ans pour une éolienne, 10 ans pour un véhicule, etc. ; il faut donc un certain temps avant que ces produits, devenus déchets, puissent être recyclés ;
  • la massification des déchets qui permet le recyclage repose sur la performance de la collecte, qui, en théorie, ne peut dépasser 80% du gisement ; le point de départ est actuellement si bas qu’il ne pourra monter que progressivement ;
  • le taux de croissance du marché des terres rares est tel, à horizon prévisible, qu’il devancera toujours de très loin les possibilités de recyclage.   
  • Quelles possibilités de substitution aux terres rares ?
  • Actuellement pas d’alternatives à performance équivalente
  • Des progrès en recherche et développement (R&D) suscitent parfois des espoirs, mais la voie vers l’industrialisation s’avère souvent plus longue que prévu. En 2021, un groupe allemand a communiqué sur un procédé pour produire des aimants permanents sans terres rares, mais rien n’est encore sorti du laboratoire. En 2018, Toyota a annoncé une innovation permettant de passer du Néodyme au Lanthane et au Cerium, plus abondants et moins chers. Cette innovation demande de compenser la baisse de performance des aimants par des technologies préservant la résistance des métaux à la chaleur. L’industrialisation du procédé est attendue d’ici une dizaine d’années.   
  • Seules des ruptures technologiques vont permettre une substitution des terres rares
  • En ce qui concerne les véhicules électriques ou hybrides, la recherche porte en premier sur la disparition de l’utilisation des aimants. C’est le cas de Renault et de sa Megane Electric avec des aimants permanents au rotor bobiné au cuivre, dont les fils spécialement disposés et triés résistent à la force centrifuge du rotor. Le courant est modulé afin de limiter la consommation électrique de la batterie à grande vitesse ou sur autoroute.
    Concernant les véhicules Tesla, ses premiers modèles étaient dotés de moteurs à induction à courant alternatif sans terres rares. En mars 2023, Tesla a annoncé un moteur plus efficace, moins cher, et sans trace de terres rares. Il s’agit de diviser par deux le coût de production des voitures électriques pour viser le marché de masse. Mais le nouveau procédé reste un mystère.
  • En ce qui concerne les éoliennes en mer, de nouvelles technologies à partir de supraconducteurs réduisent voire suppriment la dépendance aux terres rares. Les supraconducteurs permettent en effet aux courants de haute intensité de circuler sans perdre d’énergie du fait de la résistance électrique.
  • En 2018, Envision Energy, société danoise, a mis à l’essai un générateur supraconducteur sur l’une de ses éoliennes. Cette technologie réduirait le poids de l’éolienne, une aubaine pour les éoliennes offshore, de plus en plus puissantes.
    En 2018 également, l’entreprise française Jeumont Electric, investie avec huit partenaires européens, envoyait en Allemagne la première machine utilisant la supraconductivité dans les génératrices de turbines éoliennes, pour être testée avant d’être exploitée sur une éolienne au Danemark.
    En 2019, les États-Unis, via le département de l’énergie, ont financé quatre projets de développement d’éoliennes de plus de 10 MW, pour réduire ou supprimer le recours aux terres rares par l’utilisation de supraconducteurs.
  • En 2022, France Relance a retenu, pour le financer, le prototypage d’un supraconducteur pour éoliennes en mer de grande puissance. Le projet est porté par une filiale de General Electric, Steam Power, dont un accord de rachat par EDF a été signé en novembre 2022.  
  • Ainsi, sur toute la chaîne de valeur des terres rares, la France et l’Europe sont dans un rapport de dépendance marqué par rapport à la Chine. La situation peut même être qualifiée d’instable et de dangereuse face aux possibilités de restriction de la Chine sur ses exportations à base de terres rares, en raison de la hausse prévue de la consommation chinoise.
  • Il existe néanmoins des ouvertures pour l’Europe pour diminuer cette dépendance : potentiel d’exploitation minière de terres rares dans l’Arctique européen, perspectives de recyclage, en particulier des aimants permanents, passage aux technologies de supraconduction. Ces stratégies permettraient de retrouver une part de souveraineté si elles étaient toutes les trois menées à leur terme, et pas seulement l’une ou l’autre.